Pourquoi interdire certains cépages de vigne ?
L’interdiction de certains cépages de vigne ne date pas d’hier, cela trouve son origine dans la célèbre crise du phylloxéra due à un insecte qui a presque entièrement détruit le vignoble entre 1865 et 1885. Si le vieux vignoble français a pu survivre, c’est grâce aux techniques d’hybridation entre des vignes européennes (Vitis vinifera) et des vignes sauvages américaines (Vitis riparia, Vitis labrusca, Vitis rupestris).
Avec la crise du phylloxéra, le greffage des cépages européens sur des pieds de vignes américains a permis de sauver le vignoble. Ainsi ces hybrides américains développés après cette crise ont représenté plus d’un tiers de la surface viticole française au début du XXème siècle, mais ils furent interdits de plantation en viticulture professionnelle par un décret promulgué le 24 janvier 1935 – année également de création de l’Institut national des appellations d’origine (INAO) – et l’interdiction perdure encore aujourd’hui en France comme dans tous les pays de l’Union Européenne avec le règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil du 29 avril 2008 portant organisation commune du marché vitivinicole.
Dans les années 1950, la liberté de planter les hybrides de son choix va progressivement disparaitre avec un classement en catégories : cépages recommandés, cépages autorisés et cépages tolérés. C’est la fin du développement des cépages hybrides. Pourquoi donc ? Diverses raisons ont été avancées :
- La surproduction de l’époque n’était pas compatible avec des variétés très productives et résistantes aux maladies : économiquement, le secteur viticole en souffrirait, il fallait réguler ;
- Ces cépages rendaient « fous », c’est ce qu’on disait à l’époque et qu’on entend encore de la bouche des plus anciens : alors que les réseaux sociaux n’existaient pas et qu’on ne parlait pas encore de marketing, le message d’un rapport éthanol/méthanol jugé dangereux était passé et s’ancra, même si depuis, cet argument a été remis en cause ;
- De la piquette, des mauvais vins, furent les arguments ultimes qui eurent raison de ces cépages interdits, avec leur goût « foxé » (fox signifiant « renard » en anglais…), leur « goût détestable ».
En réalité, tout cela est bien plus manigancé. Certes la surproduction existait du fait de la viticulture d’Algérie qui était encore une colonie française, et aussi parce que partout en France, les gens avaient une vigne de cépages anciens et faisaient leur propre vin ; tout cela faisait concurrence aux régions d’appellation définies par l’INAO qui devaient être le prestige de la viticulture. En outre, l’après-guerre fut marqué par l’avènement des produits phytosanitaires alors pourquoi s’en passer ?! On écarte donc les cépages anciens, hybrides, résistants, au profit de cépages greffés bien plus sensibles aux maladies et attaques parasitaires.
La viticulture reste, encore aujourd’hui, avec l’arboriculture, le secteur agricole le plus consommateur de pesticides. Avec la préoccupation environnementale qui s’impose aujourd’hui, diminuer les intrants chimiques dans les vignobles fait sens chez de plus en plus de consommateurs. Peut-être que des cépages bannis aujourd’hui chez les professionnels vont être réhabilités dans les années à venir ? Ou au moins pour leur intérêt patrimonial et culturel, un peu comme les langues régionales ?!
Les cépages de vigne interdits
Six cépages hybrides américains sont toujours interdits en viticulture professionnelle depuis 1935, ils n’ont eu droit de plantation et de production en France qu’entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème siècle, le temps de sauver notre vignoble : ‘Clinton’, ‘Noah’, ‘Isabelle’, ‘Jacquez’, ‘Othello’, ‘Herbemont’. Si les professionnels ont obligation de les arracher, ils ne peuvent vendre leur vinification, les particuliers peuvent les garder et les vinifier pour leur propre consommation :
- ‘Clinton’ : cépage hybride Vitis riparia x Vitis labrusca, aux raisins noirs à peau épaisse, aux arômes rappelant la framboise ;
- ‘Noah’ (photo 2) : cépage hybride Taylor (Vitis riparia x Vitis labrusca) x Vitis Riparia, aux raisins blancs très sucrés et très acides, aux arômes rappelant la fraise ;
- ‘Isabelle’ (photo 1) : cépage hybride Vitis vinifera x Vitis labrusca, aux raisins noirs aux arômes rappelant la framboise ;
- ‘Jacquez’ : cépage hybride Vitis aestivalis x Vitis vinifera, aux raisins noirs aux arômes épicés rappelant le cassis ;
- ‘Othello’ : cépage hybride ‘Clinton’ x Black Hamburg, aux raisins noir bleuté aux arômes « foxés » propice à une consommation en raisin de table ;
- ‘Herbemont’ : cépage hybride Vitis aestivalis x Vitis cinerea, aux raisins noir violacé foncé à peau fine, aux arômes rappelant le cassis.
Ces cépages hybrides issus donc d’une reproduction sexuée affichent une résistance à toute épreuve : maladies cryptogamiques (mildiou, oïdium…), phylloxéra ; des atouts dignes d’intérêt. Non pas qu’il faille forcément les replanter mais peut-être lever cette interdiction qui n’a plus de sens aujourd’hui, et certainement se servir du matériel végétal.
Aujourd’hui, on a recours à une reproduction par voie végétative (greffage) avec majoritairement des variétés hybrides greffées sur des porte-greffes américains. Le greffage a permis d’associer un greffon d’une variété hybride autorisée en France sur un pied avec système racinaire, porte-greffe, américain résistant. On conserve ainsi les caractéristiques organoleptiques de nos nobles cépages ! C’est ce que rappelle, pour la petite histoire, Maud Roulot, créatrice de la chaine « Le Jardin d’Alekil », et autrice d’un livre Un jardin nourricier*, du potager à la basse-cour, transformez votre jardinet, récoltez des produits frais toute l’année, dans lequel elle partage son expérience et propose un guide de l’autonomie de A à Z.
* Editions Tana – 24 mars 2022 – 246 pages – 24 €